mercredi 1 juin 2022

"Services" par Quai n° 7 : Bonnes à tout faire.....et la tache s'efface ! Vengeances tardives et fatidiques....pour techniciennes de grande surface de réparation!

 


Cinq techniciennes arrivent sur scène. Le spectacle, Les Bonnes de Genet, a joué la veille et il est temps de nettoyer et remiser celui-ci afin de préparer la représentation du soir.

Au fur et à mesure du rangement, les petites humiliations que subissent chacune des techniciennes dans cette équipe de travail sont révélées et sublimées au moyen de fictions qui naîtront de leurs échanges et des gestes de la remise en place du décor.

Alors que les cinq femmes font du plateau un lieu de l’expérience d’un modèle de liberté, certains mécanismes de prise de pouvoir viendront-ils rendre la tâche difficile ?

Une tombe fleurie de plastique banal, un fauteuil, quelques bougies, une croix sur le plateau....Elles chantent, cinq femmes en jeans, en nettoyant, rangeant s'affairant comme des fourmis laborieuses, consciencieuses...Joyeusement sur des rythmes connus en dansant . "Soubrettes ", bonnes à la tâche, obéissant à la "clochette-sonnette", domestiques dociles et soumises.Déplaçant sans cesse caisses de fleurs et autres accessoires pour vider la scène, accueillir le prochain spectacle qui va s'y dérouler sous la houlette de Clémence la metteur en scène fort déplaisante et hautaine. La critique d'une société hiérarchisée, codée et inamovible comme une caste indienne, se dessine à travers les propos de la régisseuse en chef, "Pat", Ruby Minard,petit soldat à la solde de ce montage fatal et fatidique.L'inversion des r^les comme en temps de carnaval sera leur jouissance défensive, ardente revanche du sort: il en va de leur "monologue" vindicte féroce de leur statu social , de leurs émotions inhérentes à ce travail qu'elles aiment mais subissent sous les coups du mépris, de l'humiliation. Chacune se raconte et prend le plateau à tour de rôle: Pat critiquant leur maitresse-matrone, "la meilleure metteur en scène, snob, imbue d'elle-même..La "bonne Pat", dindon de la farce, techni-chienne obéissante aux moindres caprices de Madame ...Qui promène ses deux actrices au SPA où au musée pour se relaxer avant la représentation des "Bonnes" de Jean Genet.De beaux effets comiques sur ces portrait qui se succèdent, rythmés, scandés par une DJ, une technicienne à l'affut de l'action. Au tour de Leila de revendiquer sa place sur un piédestal de caisses chancelantes: l'effet "carte postale", énigme qui se révèle enfin: on lève le voile sur un épisode brûlant: un règlement de compte cruel à propos du tableau de circonstance"la servante en extase" vu au musée.En princesse-maitresse vêtue de sac de plastique, Leila chante son désarroi, sa peine et sa révolte: être assimilée à cette icône de classe, de caste, la ronge et son chant est fort, beau, résonant de haine, la voix chaude et féroce.Le psychodrame se renforce avec Nathalie, elle aussi victime d'insultes, de malveillance, de harcèlement venus de la patronne, harpie de luxe, patronne de peu, image de la domination de classe...Numéros et monologues expiatoires, libération des âmes touchées, coulées par le mépris.Trop "bonnes" avec Clémence, la cheffe, sadique comme cette scène d'épilation suggérant le sacrifice et la torture endossés par les servantes, les femmes de services.La "servante" celle aussi, lumière qui veille sur le théâtre quand il est fermé !La seule qui travaillait durant la pandémie, à guichet fermé....Les sévices sont graves et impriment la vengeance qui sera hélas, fatale à cette mascarade: la sentence ne saurait tarder sur ce petit peuple en révolte: Pat sera "virée", désespérée et ses consœurs lui feront un enterrement digne de ses sacrifices: fleurs et couronnes de plastique, masque aux yeux écarquillés de tyran, comme des véroniques sacrées en tulle de tarlatane..Jolie idée de mise e,n espace, costumes interchangeables, fleurs inondant le plateau pour évoquer celles de Jean Genet venues phagocyter l'intrigue, envahir et noyer le poisson, le poison de la haine...Le chant de Leila, Naema Tounsi, se renforce, présent, vindicatif à outrance dans un timbre foudroyant et ample. Quelle voix puissante, quel jeu convaincant et subtil...Cette conspiration solidaire se termine par l'image d'un épouvantail affublé d'oripeaux,chaussé de gants de ménage en grappe, cérémonie d'enterrement de Pat, robe à fleurs artificielles au corps: retour au décor d'origine: tout est en ordre, on a fait le ménage mais la représentation aura-t-elle bien lieu? La crécelle des projecteurs comme musique pour ce soulèvement hiérarchique de bon aloi, sur fond de décor modulable à souhait, de voguing, défilé de mode critique des mœurs d'un milieu bien miné par l'orgueil et le pouvoir.Danse de sabbat finale pour honorer et conjurer le sort de ces "sorcières" mal-aimées. On ne mélange pas les torchons et les serviettes dans cette diatribe signée par Juliette Steiner, interprétées par de jeunes comédiennes au talent évident de jeu, de chant, de malice aussi. De vérité, de limpidité, de fantaisie non dissimulée qui ce soir là à la Pokop, fit l'unanimité d'un public séduit et emballé par tant de générosité!

  


Démostratif - festival des arts scéniques émergents
 Du 31 mai au 4 juin 2022
 À Strasbourg Pokop

Le festival des arts de la scène dédié à la jeune création fait son grand retour pour cette fin d’année universitaire ! Durant 5 jours, sur la thématique « Inévitables révoltes », une trentaine de spectacles, performances, concerts, petites formes ou encore expositions investiront plusieurs lieux universitaires dont La Pokop et la BNU. Dans une université ouverte sur la cité, ce festival se veut un point de rencontres pour les artistes de demain.

 

 Mise en scène : Juliette STEINER
Assistant à la mise en scène : Malu FRANÇA
Textes à partir du plateau : Olivier SYLVESTRE
Jeu : Camille FALBRIARD, Ludmila GANDER, Ruby MINARD, Naëma TOUNSI, Ondine TRAGER
Création lumière : Ondine TRAGER
Création son : Ludmila GANDER
Scénographie et masques : Violette GRAVELINE
Costumes : Juliette STEINER

vendredi 20 mai 2022

"Echo": la muse s'amuse....Le son archaique des corps jetés au sol....fait écho...

Catherine Diverrès France  9 interprètes création 2003 / Re-création 2021

 


Écho

Mettre à l’épreuve sa propre écriture chorégraphique, c’est le pari de Catherine Diverrès. Echo, pièce tissée d’extraits de créations antérieures, est un voyage dans le temps où mémoire et actualité s’emparent des corps, au fil d’une danse vibratoire et rebelle, infiniment puissante et sensible.

L’arbitre des élégances (1986), L’ombre du ciel (1994), Fruits (1996) et Corpus (1999), autant de pièces marquantes dans le riche parcours de Catherine Diverrès. En 2003, la chorégraphe décide pour la première fois d’interroger sa propre écriture. Elle sélectionne alors certains extraits de ces quatre créations antérieures qu’elle choisit de transmettre à de nouveaux interprètes. Depuis, les années ont passé et à nouveau, avant de clore ses activités chorégraphiques, elle décide de remonter Écho avec une autre génération de danseurs, ceux qui, pour la plupart, ont rejoint sa compagnie en 2016. Alors que le mouvement du monde frémit aux nouvelles urgences qui le traversent, quels échos, résonances, cette danse peut-elle entretenir avec ce qui fait l’actualité des corps et de nos sociétés d’aujourd’hui ? Écho est ce nouveau défi que s’est donné la chorégraphe : confronter le souffle de cette écriture si singulière, forgée de qualités, d’états de corps et d’engagement au mouvement du temps. Sur scène, c’est toute une poétique qui se déploie dans l’espace, dans la géométrie d’une composition rigoureusement ciselée par les gestes tandis que les corps s’élancent et nous parlent de gravité et de poids, de vide et de verticalité, mais surtout d’une certaine relation au monde et au mouvement de la vie.

Le plateau, vaste, nu, accueille un sol comme une tomette, couleur profonde de pierre chaude, de sol dur...C'est sur ce parterre ocre que vont se succéder, ensemble, duos, solo au rythme d'un choix musical riche de sons, de bruits, de musiques qui se tuilent, se mêlent Pour mieux brouiller les pistes d'une narration diffuse que l'on s'invente au fil des séquences.Cinq hommes, pieds nus, vêtus de costumes classiques noirs, ligne franche et découpée, surgissent pour animer une fugue fougueuse qui augure du ton général de la pièce: danse tranchée, comme un sabre qui fend l'air, sèche, abrupte, le frappement des pieds pour métronome interne.Ce prologue "violent", tonique engendre sauts, portés sur fond de bruitages cavernicoles, lointains, d'une grotte d'où "apparaitrait" Echo, la muse qui chante, réverbère le son et disparait, désincarnée..Seul son chant persiste.Puis dans une diagonale de lumière, tout en blanc, une femme dévale ce chemin, hésitante, perdue,affolée.Le son des corps qui chutent au sol, impressionne, touche, marque les esprits.Petite robe noire pour la succession d'images de solitude féminine qui hante le plateau; la grâce s'y déploie, fluide, ouverte, tourbillonnante, offerte, libre...Une sorte de monstre dans des lumières stroboscopique habite un rayon de lumière, sept mannequins, pantins en fracs noirs anthracite , masqués de blancs, opèrent un bal grotesque...Expressifs, tournoyants à l'infini: ivresse de la bascule, du vertige. Encore un duo aux portés mirifiques, légers, les corps attirés, happés par l'énergie d'un amour de la danse qui perle, suinte à chaque instants. Les corps se donnent, s'attirent, fusionnent en emprise, en prise folle, affolée de passion. Les courses se libèrent en autant de salves, lâchées dans l'espace: les danseurs s'accueillent violemment, dans une confiance étonnante, une urgence, un danger constant.En diagonales souvent, axe de sillon de lumière, de mouvement, de dynamique pour mieux dévorer l'espace, le prolonger, l'étirer à l'infini. La danse coupe cour aussi, interrompue, figée, arrêtée dans son flux.Des traversées obsessionnelles, addictives, nécessaires, toujours: actives du processus de tracés, d'écriture irrévocable de l'urgence: celle de "faire l'impossible", le vrai, dans la répétition aussi, signe et marque de fabrique de Catherine Diverrès.Directions sagittales en flèches tendues, tirées des corps qui fusent aspirés,et se lancent irrésistiblement dans l'espace-temps.Le vent s'écoute dans les robes des femmes qui tournent, font résonner l'espace, le prolonge. Se retroussent, se rebroussent, détroussent l'éther.Un féroce derviche possédé apparait puis se transforme en un humble serviteur d'un culte païen retrouvé. L’archaïsme de la danse, du propos de la vie qui tournoie, effraye, sidère, intrigue. La danse y trouve toute sa fonction rituelle, mystérieuse, païenne et sourd des corps un parfum de sacrifice, d'offrande: une sorte de sacre du printemps où la danse éructe, s'affole en langue étrangère, en robe rouge, en esprit malin....Séduction éphémère au profit d'une profonde prière mystique endiablée...Panique, désordre ou rangée drastique de corps à l'unisson, réunis dans une énergie sans faille, épuisante, perte et dépense troublante pour les danseurs galvanisés par l'énergie débordante, autant que la poésie lyrique qui se dégage des solos, duos qui se tuilent, se répondent, s'effondrent comme un château de cartes.Des traces de sable, des roses au sol, lumineuses comètes échouées ou braises en rémanence de lumière, de lucioles..En leitmotiv, le bruit de la chute des corps, les sauts délivrés, inversés dans les directions à suivre, à fuir.Des accolades féroces, rageuses, dévoreuses.La déchirure des sons précipités, un état de guerre où les corps au sol subissent des états de choc comme le spectateur, regard happé par tant de dynamique. Une habanera, une accalmie, tous sur leur quatre appuis sur fond de fanfare féllinienne, comme au cinéma, le son "off",le hors champs s'installe. Seul un boxeur se glisse entre les lignes pour clore cette épopée de l’odyssée de la fugue, de cette cérémonie où Terpsichore jubile de trouver espace et terrain de jeu, de jouissance: une "petite mort" pour diluer le geste dans l'extase d' Eros/Thanatos....

Au Point d'Eau dans le cadre du festival extradanse de  Pole Sud le 19 MAI

 


 

jeudi 19 mai 2022

"Siri": corps de ballet robotique


Marco da Silva Ferreira & Jorge Jácome Portugal 4 interprètes création 2021

Siri

Un fascinant travail sur les images et le mouvement cisèle la pièce du chorégraphe Marco da Silva Ferreira. Créée avec le cinéaste Jorge Jácome, Siri est une mystérieuse forêt de sensations. Comme surgie d’un monde post-humain, elle interroge notre réalité et trouble nos repères.

Dans quel monde étrange nous conduit Siri, ce spectacle dit “de danse”, composé de 4 interprètes, 2 écrans vidéo, 2 balles de massage et un grand tapis mauve ? Et comment chorégraphier ce monde futur dans lequel l’humain, la technologie et le numérique se mélangent jusqu’à se confondre ? C’est le défi que se sont donnés le chorégraphe Marco da Silva Ferreira et le cinéaste Jorge Jácome. Du premier, on connaît la danse puissante et profonde, l’inscription des images et des corps dans l’espace du plateau, ainsi que certaines de ses pièces comme Brother ou Bisonte qui questionnent le groupe, l’humain, du côté de la force et de la fragilité. Du second, on a découvert les films fondés sur un processus intuitif et sensoriel entrecroisant dérives narratives, rencontres et relations insolites ou inattendues. Ensemble, les deux artistes portugais interrogent notre rapport au réel. Avec un sens de l’archéologie des gestes et du mouvement qui les rapproche, ils ont imaginé une étrange forêt, sorte de « paysage post-humain où la cadence lumineuse est l’acteur principal, où les corps flirtent avec l’immatériel et où les images de synthèse deviennent le théâtre de nos sensations ». Une remarquable composition plastique et visuelle où chaque geste laisse son empreinte dans l’espace.

Au sol sur le tapis violet douze "engins" non identifiables, comme des projecteurs renversés qui vont s'avérer robots androïdes, et quatre corps allongés à terre. Deux écrans suspendus...Mystère...Comme de petits êtres humains, les machines s'animent, petits bras en couronne, nez en l'air....Un texte défile sur l'écran, positionnant l'intrigue ou le "mobile" de ce spectacle singulier: légende ou pré-texte à ce numéro technologique de démonstration de mobilité mécanique.Ondulations corporelles des quatre danseurs qui lentement se relèvent: découvrant des costumes fluos, chatoyants, très seyants, et originaux Ca leur colle à la peau en contraste avec le gris métallique des atours des robots, fort sympathique d'allure! Petits singes aux bras croisés, tondeuses à gazon ou aspirateurs-renifleurs de poussière autonomes.Le ballet démarre, chacun dans sa qualité de gestes; fluides et ondulatoires pour les humains, raide, cou empêché, membre articulés aux coudes tétanisés, à la nuque cassée pour les robots.. Comme des figures grotesques de corps tronqués, coupés de leur globalité, de leur énergie: une dynamo mécanique, futuriste, quasi BD fantastique aux accents déshumanisés. Les situations n'évoluent cependant pas beaucoup: corps de ballet à l'unisson pour les bestioles robotiques, nuances fluides pour les danseurs, en chainette, en grappe, en petite communauté singulière, à part de ce monde mécanisé à outrance. Sur fond de musique "abstraite", bruits et rythmes métronomiques lancinants dictant la gestuelle des uns et des autres...Comme de bons élèves tous ont entendu le message biblique inscrit sur l'écran...On frémit, se secoue, tremble et bruisse en résonance, à l'unisson mais pas par le même médium. De la chair à la tôle, les oscillations se propagent, fébriles, fiévreuses, , des sons sortent de la bouche des danseurs comme autant de cris de bestioles affolées.Le quatuor, le quadrilles des danseurs en miroir, sur des niveaux de gesticulations contrastées, maitrisées en composition mécanique, se déplace à l'envi parmi le parterre de robots dispersés sur le plateau.Quelques reptations au tempo d'un métronome dictateur, relie hommes et robots.Quelques petits tours exécutés par les machines devenues vedette du show, une pastille de lumière qui se gondole sur un écran...Suivent sur le grand écran des successions d'images, reproduisant les danseurs, toujours en couleur, peu inventives...Les effets d'annonce de la note d'intention du chorégraphe, sur le propos du spectacle, s'avèrent décevantes: on s'attendait à "plus" ou à encore plus décalé dans la vision de la conception du futur des corps ou des broyeuses de sensualité que sont les robots. Toutefois, ces "sylphides" en batterie, aux déplacements organisés et dirigés pourraient être les spectres, elfes de demain, les corps désincarnés des lutins de demain dans les clairières désaffectées des forêts disparues Tout est gris et terne, hormis les splendides costumes  à la Beneton, colorés, aux aspects séduisants, rappelant que "la vie" est encore source de fantaisie.Signés Ricardo Andrez.

Quand on songe aux autres travaux de Jean Marc Matos, de Cremona/ Méguin, pionniers des années 1980, on s’aperçoit du peu d'inventivité des propositions et  investigations de Marco Da Silva Ferreira....

Alors,courez voir le film d'animation japonais "Junk Head" de Takahide Hori"..... Vous y verrez du neuf, du drôle et des figures modelées sur de l'humain en morphing étrange...



A Pole sud les 17 et 18 MAI dans le cadre du festival extradanse