La voici, cette trublione de la danse contemporaine allemande, "installée" jusqu'en Février 2014 au ZKM de Karlsruhe.
Qui aurait soupçonné que cette fanatique de la matière brute, cette sculptrice des corps dénudés, s'accoquine avec un centre d'art dédié aux nouvelles technologies, au monde virtuel?
C'est oublier qu'elle s'est elle-même coltiné à l'art vidéo en réalisant avec Elliot Caplan en 1996, "L'allée des cosmonautes" une fiction chorégraphique transplantée dans un appartement de la banlieue berlinoise....Un singulier rapport à l'image enregistrée, à l'espace, aux cadrages, et aux faits et gestes filmés au plus près des corps, épousant une écriture et un tempo fulgurant.
Justement ou est passée la fougue dans cet immense espace au rez de chaussée du musée, qu'elle investit en totalité?En entrant dans cette "installationen objekte performances" le visiteur est libre de son parcours, de ses divagations et circulations Il est d'abord interpelé par trois écrans vidéo où vont et viennent, apparaissent et disparaissent trois personnages troubles, floutés à la Gary Hill ou Bil Viola.(No Body)Puis c'est au coeur de la plus vaste salle, comme une halle, que se dresse un immense mur écran où sont projetées d'étranges images: des corps apparaissent, se poussent, s'empilent avec une très curieuse sensation de gravitation improbable. Sont-ils filmés au sol à la verticale ou allongés, en plongée? Rien de tout cela:ils sont encastrés entre mur et vitre et se frayent un chemin avec appuis dans une sorte d'apesanteur, lourde, calme sereine. Un enfermement expérimental pour évoquer la perte des équilibres, l'abandon d'une rationalité de la puissance de la gravité.
Un autre espace s'ouvre: celui d'une salle dédiée à l'exposition des dessins, croquis et diverses notations de la chorégraphes. Très signifiant de sa réflexion sur les mouvements d'ensemble, les masses et aussi la singularité d'un petit bougé parmi tant d'autres!
Graphisme séduisant dont la lecture s'avère optique et jouissive car il ne s'agit pas de "notation" orthodoxe.
Une fois de plus la rebelle nous livre son langage et nous délivre des contraintes, normes et autres cadrés codifiés, repérables. Tout à coup dans l'espace un groupe de danseuses déchire le milieu ambiant. C'est le démarage d'une des multiples performances live qui jalonnent le parcours de l'exposition
On est jamais "tranquilles" mais toujours dérangés, déplacés par cette configuration (on se souvient de sa performance"Insideout" en Avignon dans les hangars périphériques de la cité à Chateaublanc dans le parc expo en 2007).
Des corps s'exposent, torses nus, traversent l'espace construisent des architectures aléatoires qui se font et se défont à l'envi.
Autant de visions tronquées du corps qui s'amassent, s'empilent sans respect des points de vue. Un tas d'osselets, une pyramide de membres immobiles, un amas de chair modelée par la démiurge des matières vivantes à triturer.C'est beau comme des fresques ou des sculptures animées:le rêve de tout un Rodin, Carabin pour ne pas figer la représentation du mouvement. Encore une surprise au détour du chemin: une femme remplit ses collants transparents de sable pour se créer des formes difformes, monstrueuses, prolongeant ses membres, alourdissant sa démarche et ceci toujours dans la plus grande des lenteurs. Sorte de ralenti qui envahit toutes les perceptions de cet univers singulièrement détaché du temps.Encore un petit théâtre de guignol très décalé où l'on aperçoit des mains, des bras, des coudes qui surgissent de petits orifices comme autant de volets ouverts sur le monde Mutilation des membres, dissection du mouvement ou simples effets de sculpture?La jeune femme aux extensions de corps se fait alors porter par toutes ses petites mains avides de la saisir et la déleste de ses atours . Saisissant comme image de construction-déconstruction!
Toute lecture esthétique, poétique, politique est possibles.Encore un écran à découvrir sur lequel des corps badigeonnés de glaise blanche simulent une fresque grecque où des groupes de corps nus évoluent au "ralenti". (Médéa) Quand la matière se transforme, les formes se prolongent, se métamorphosent devant nos yeux
Sasha Waltz opère comme un chirurgien de la kinésiologie, modifiant notre rapport à l'espace-temps par des points de vue, des focales où des milieux singuliers. Une vidéo dévoile un couple de nageurs opérant une chorégraphie sub-aquatique en apesanteur, en apnée, en lévitation C'est beau, onirique, fantastique; les tissus et voiles glissent, se déroulent comme les tentacules d'une méduse. Hommage à Valéry ou Mallarmé?
Encore un saut dans l'apesanteur avec ses sept danseurs suspendus par des baudriers qui errent dans l'espace comme autant de sculptures vivantes offertes à la vision en rond de bosse(Continu)
La musique se glisse dans chaque installation et distille à bon escient Bepler,Dusapin, Kuhn, Purcell, Schubert, les compositeurs favoris de la chorégraphe.
Quand la sculpture se "mobilise" tout est mouvement, déplacement, gravitation. Tour prend vie!
Comme une immersion totale dans le travail de cette compagnie soudée par l'esprit d'expérimentation et de laboratoire du geste, de la recherche sempiternelle sur la nudité, sur ces "Korper" qu'elle décline avec acharnement dévoilant à chaque fois une part d'ombre et de lumière, une part d'obscénité
"No Body" is perfect: sa trilogie sur le corps ne cesse de la tarauder, ces "korper" de hanter son univers versatile où la matière corporelle à modeler donne sens à toute son œuvre magistrale en diable!
lundi 11 novembre 2013
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