Un homme, une femme, au "travail" dans leur plus simple appareil de comédien : le corps, la langue, les mots.
Les maux d'un couple, du couple, qui jaillissent, torrides et violents, de la bouche de Stanislas Nordey, comme des salves lancées, brûlantes, féroces, méchantes, à l'attention d'une femme, Audrey, plantée devant lui, à distance on négligeable. Le tir a démarré, fiévreux, convulsif, le corps tremblant, fébrile, tendu. A vif, meurtri éructant les mots, les phrases, remplis de souvenirs d'un passé pas encore effacé.
Passé d'un amour partagé, fulgurant, joyeux dont il ne reste ici que des lambeaux: plus de désir ni d'appétit de l'autre! J'accuse, je dénonce, je sort de ma bouche les maux, les douleurs mais aussi la tendresse et l'humour d'un sort fatal à tous: l'érosion, l'usure des sentiments jusqu'au dégout, à la haine.
On songe à la chanson "Voulez-vous danser Madame"de Jean Tranchant, l'histoire d'une rupture coquette, où il vaut mieux "tourbillonnez dans l'espace" que de se quereller!!
Le duel commence, en soliloque arbitraire qui ne laisse place à aucune réponse de la part d'Audrey
Elle va subir une heure durant, dans son corps les invectives de Stan, en jean et tee shirt banal, comme un homme, un vrai, simple et commun.
Paroles de corps soigneusement chorégraphiées par Rambert pour les deux comédiens, danseurs d'un soir, modelés par la force des propos, l'humour et la dérision de la situation
La patte du chorégraphes, en fait deux chats félins pour l'autre, aux abois, tantôt dressés, toutes griffes dehors, tantôt soumis ou muselés par un mutismes paralysants, tétanisés par la violence , la vérité, la cruauté des mots de l'autre
Nu et cru, ce texte qui avance ou recule comme les corps attirés ou aimantés, reflués, refoulés aussi par l'absence du désir ou le souvenir pesant d'un bonheur partagé, effacé, englouti
Ils se frôlent, se regardent pour mieux tenir debout ou tomber.Lui mouille sa chemise,transpire, se donne,partage les sons,se jette dans la bataille, guerrier de la beauté, du dire et du faire "ici"!
Les mots du corps, de la danse : on y "ventile" on respire, on se déplace on y pratique le yoga des yeux............Glossaire contemporain du geste, pour une écriture charnelle, incarnée, à vif dans la chair d'un cortex, une vision mentale aussi de l'amour.
"Clôture" comme une frontière, une barrière infranchissable désormais qui fera se tenir à distance des corps autrefois fusionnels qui poussaient "l'escarpolette" délicieusement ou comme "un panier de fraises" dégustaient l'amour à deux dans un duo et des "portés" enflammés!
Audrey Bonnet, troublante, rageuse ou soumise, tétanisée ou emportée par la virulence des propos, est belle, juste et danse son texte, au doigt et à l’œil! A fortes ou petites doses, à "petits bougés" subtils
Pour couronner le tout, en final, les deux amants s'affublent d'un cerceau de plumes, objet de la parade amoureuse par excellence: ni mâle, ni femelle, le paon et la paonne se rabibocheraient-ils dans une cérémonie animale cocasse ?
Les deux comédiens réalisent ici une performance physique singulière comme un exercice de style, technique virtuose mais aussi comme deux fantômes quittant leur enveloppe pour mieux flotter dans un monde de l'absence, de la perte. Et le public de savourer cette "dépense" à vue, sans compter lui aussi sur l'épuisement né de la communion public-acteur, si intense de cette pièce, pleine de pièges tendus, de rebonds, de tension-détente!
Paroles de chorégraphe!
Au TNS jusqu'au 27 Septembre
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