Étranges portraits
"S’immerger en eaux troubles, avec humour, dans la biographie de quatre saintes martyres, tel est le projet de Bryana Fritz avec Submission Submission. Non sans provocation, l’artiste américaine basée à Bruxelles endosse le rôle d’ « hagiographe amatrice » et se comporte comme une débutante et une amoureuse. Durant cette performance féministe, digitale et mouvementée, elle s’intéresse aux vies de Hildegarde de Bingen, Christina l’Admirable, Catherine de Sienne ou encore Christine de Bolsena. Sans craindre les associations les plus hasardeuses, elle réalise un audacieux collage performatif basé sur la vie subvertie de ces saintes moyenâgeuses ainsi que sur leurs morts et leurs passions. À partir de tressages narratifs et d’images déployés sur fond d’écran d’ordinateur, elle jette son corps dans la bataille ouvrant un autre espace de dialogue autour des phénomènes de sociétés."
On sera avec elle au départ qui nous expose son "processus de création" en toute simplicité: en hagiographe, amoureuse de codex et de compilations sur le sujet, la voici nous livrant quatre de ses versions catéchismes, celles d'une danseuse en proie aux visions divines. Mais, les saintes ne dansent pas..Alors cette stratégie corporelle d'afficher ces figures mythiques et mystiques sera publique, subversive où Dieu parle avec elle, à travers son corps, passeur et vecteur de divinisation."Donner corps aux saintes", deus ex machina, ressusciter et mourir à la fois dans l'espoir d'être sanctifié: un programme alléchant que l'interprète-conteuse, tout en blanc virginal et désincarné va nous délivrer.La "chaire publique", celle qui échoue et faute, celle qui pêche non par omission mais obligation! Coquine et maline figure anticléricale et audacieuse. En prologue, sur fond d'écran déversant des calculs informatiques calligraphiés, elle exécute une danse frontale, verticale, d'aplomb et révèle ses stigmates dans la simulation de douleur, de souffrance.Dans un érotisme brûlant, le sexe barré de deux doigts en croix: no sexe, implorante à genoux, en prière devant les mots défilants des cinq sens.Lips, tongue, eyes, tout ce qui nuit à la raison vers la trahison de l'amour de dieu.Gainée de noir sous l'effet des projecteurs, elle se transforme en silhouette noire, diabolique.Voluptueuse icône fléchie, courbée, soumise.
Viennent les évocations des saintes. On démarre avec Hildegarde von Binden, à force de légendes défilants sur l'écran, tout de bleu, couleur de la vierge sage. Les paroles murmurées en même temps qu'un climat étrange s'installe. Une danse minimale, axée, droite illustre les visions d'une possédée du ciel, "ombre de la lumière vivante", "inéduquée", en proie à ses fantasmes et illuminations. Agitée, perturbée, désordonnée dans ses gestes inspirés de la démence, de la folie, de l'emprise de dieu sur son corps complice. Lumières et rythme stroboscopique de la musique en contrepoint. Dans un anglais répétitif, en continu, le son martèle l'ambiance.Au tour de Catherine de Sienne de passer à la moulinette de cette iconoclaste et trublione hagiographe.Toujours avec fond de calligraphie infographiste, en soutien-gorge et coiffée d'un tee shirt comme un voile de nonne, elle "peste" et fait vœu de ne jamais se marier.Ce sera Jésus, l'heureux élu, personnage choisi parmi le public, devenu secrétaire de ses actions à graver à jamais sur les frontispices des églises.Elle chante pour le Christ, bras ouvert en croix, voilée de blanc en nonette docile et obéissante. Habitée, malicieuse et profondément inspirée.Sur fond d'orgue électronique, musique mystique Je susse, Jésus, les mots se confondent sans ambiguïté avec son bel accent...
Christina l'Admirable fait ensuite office de langue interdite, bannie du corpus vivendi, une vraie pâte issue de sa bouche. Langue interdite, mots bannis, parole frustrée. La langue bien pendue cependant qu'elle étire et arrache de son palais buccal. Langue au chat,délicieuse gâterie d'un sens gouteux, coupée par le père de la sainte.C'est la "maison de la crotte" qui fait office de décor linguistique pour une danse sexy, simulant cris et outrages, bouche grande ouverte, béance et érotisme de l'ouverture, origine du monde.Elle brandit l'objet du péché et balance cette langue baveuse sur le mur des lamentations. Hirsute, dégingandée, secouée de spasmes incorrects, perverse sur des rythmes endiablés. Pleins décibels pour transe en danse. Au sol interdit de séjour pour chute et omission de confession. Après des sons de tympans de cloche rituels, nous voici en compagnie de Christine l’Étonnante de Bolséna. C'est Nick Cave qui est convoqué pour faute grave et pour omission dans son hymne à la sainte, plein de "fautes" et d’erreurs hagiographiques. Elle se plait à corriger en direct ces infamies à la religion. Puis un "Agnus Déi" grégorien pour support de danse, l'émeut à propos de "la puanteur du péché humain"qu’elle fustige nous accusant aussi de "puer" ou "schlinguer"! En extase, elle tremble, tétanique figure divine, épileptique en diable, possédée."Croix-moi", crucifiée par la peur et la terreur qu'elle va bien sur combattre, surmonter et vaincre. En bonne sainte au dessous de tout soupçon. Péchés capiteux que ceux ci, capitaux par la honte et le remord engendrés. Danse votive, sacrée, digne et drôle dans une béatitude innocente et pleine de charme. Bryana Fritz avec intelligence et audace brosse ici des anti-portraits de saintes nitouches, prudes où qui s'y frotte, s'y pique."Saintes n'y touche" de toute beauté et originalité.
A Pole Sud les 17 et 18 Janvier dans le cadre du festival "l'année commence avec elles"
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