La Grande Nymphe France 6 interprètes création 2023
Depuis longtemps, Lara Barsacq s’intéresse à l’histoire des Ballets russes. Dans IDA don’t cry me love, c’était à la fabuleuse danseuse Ida Rubinstein qu’elle rendait hommage dans une performance croisant les arts. Sa ré-interrogation de l’histoire de l’art via un prisme féminin l’entraîne à tisser des liens entre L’Après-midi d’un faune de Mallarmé, Le Prélude de Debussy et le ballet sulfureux de Nijinsky composé à partir des deux. La Grande nymphe peint sa vision du personnage, enfermé dans l’allégorie du plaisir charnel. Le faune est, lui, relégué au second plan tandis que Cate Hortl distord Debussy avec une pop électronique mélangée aux voix auto-tunées de la chorégraphe liégeoise et de Marta Capaccioli. Ensemble, elles déconstruisent les violences d’une sexualisation féminine cadenassée par les hommes pour mieux donner chair au point de vue des danseuses sur l’érotisme.
Lara Barsacq convoque brillamment en velours, la mémoire et le patrimoine de la danse et de la musique dans cet opus singulier dédié à "L'après-midi d'un faune" chorégraphié à l'origine par Nijinsky. Ce dernier brille par sa présence-absence par ses formes glanées dans la plastique grecque et c'est non sans humour que l'on découvre à l'écran Lara en roller sur le parvis du Louvre! C'est bien là que la filiation avec l'esthétique hellénique c'est faite, en 1912 et en 2022...Des références, certes, un petit cours d'histoire en route en présence de ses deux comparses et le tour est joué. L'Histoire, certes, mais présent oblige, la danse est transformée, remaniée et manipulée avec génie en solo, duos et musique électro acoustique en direct. Sur le plateau. La Grande Nymphe rivalise avec le Faune avec humour et distanciation, toujours dans le respect et dans la transgression. Gestes angulaires, profilés, toniques et directionnels à foison.Des questions actuelles et originelles s'y posent sur le plaisir, la jouissance, la tension amoureuse. Les deux danseuses se prêtent au jeu des questions-réponses verbales mais surtout la gestuelle érotique et sensuelle rappelle ce faune originel qui rampe sur son entaille de roche comme suspendu hors de l'espace commun. Un tableau en fond pour évoquer la nudité et le désir, une immense toile où une sorte de piéta embrasse un faune lascif et tentant...Des évocations qui font leur chemin alors qu'elles endossent des costumes quasi futuristes très esthétiques. L'histoire titille et taraude Lara Barsacq, comme héritage, source d'inspiration et de digression. Les doigts vibrant s'agitent et ponctuent ce qui excite et rivalise de chatouilles érotiques évocatrices.Une séquence filmée dans les entrailles de l'Opéra Garnier invite à une visite guidée des costumes inspirés de l'époque: les châles et voiles des nymphes dont s'empare le faune, les perruques grecques: tout concourt ici à rendre vivant un mythe très actuel sur l'identité, la sexualité, le genre. Au final c'est un trio musical de l'oeuvre qui joue le prélude avec finesse et doigté alors que Marta Capaccioli danse, sublime mouvance inspirée, comme ces méduses de Mallarmé dans "Degas, danse, dessin": mouvance suspendue, aérienne ou aquatique, solo divin accédant à la grâce. Faune androgyne, danse hypnotique, révélation d"une composition chorégraphique qui surgit au final en apothéose. Du bel ouvrage de "dames" qui tel une toile se tisse , trame et chaine, pour faire éclore une mouvance étrange: inspirée du roller, une discipline sportive inclassable quand elle atteint toutes ses possibilités de glisse, de mouvement rotatif et d'élégance.Naïade, néréide sublime, la Grande Nymphe atteint des sommets de beauté intime et partagée. Mais aussi de la liquidité, du fluide qui parcourt le spectacle de bout en bout. Cela suinte d'adresse et la résurgence des gestes de la genèse de l'oeuvre emblématique de Nijinsky-Debussy-Mallarmé se fait narration, récit et histoire à danser debout! Pour mieux se liquéfier dans la jouissance.En 1917, Nijinski rend visite à Charlie Chaplin qui lui rend hommage avec une
danse entouré de nymphes dans la séquence du rêve de son film Une idylle aux
champs (1919) s’inspirant du Faune.
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