DEUX PERSONNES POUR FAIRE UN COUPLE CE N’EST PAS ASSEZ.
« Jonathan : Tu n’as rien retenu de ce
que je t’ai dit, je ne sais pas comment te le faire comprendre. Je n’ai
plus de sentiments pour toi. C’est fini. Je suis sobre, je suis vacciné,
c’est terminé.
Mira : Tu es en colère. Je te demande seulement de prendre une seconde pour réfléchir. Ça prendra peut-être du temps.
Jonathan : Ça ne va pas ? Tu crois vraiment que je vais
jeter aux orties tous mes progrès réalisés en deux ans, parce que tu
as… Je vais te dire un truc, à un moment, je me suis mis à prier, à
vraiment prier, devant Dieu, pour que tu reviennes. La fois où tu es
venue ici… J’étais couché là-bas avec Ava, j’attendais qu’elle s’endorme
pour pouvoir te parler, essayer de te convaincre et j’ai entendu la
porte claquer. Là, l’envie de te tuer est revenue. »
Un homme et une femme s’évertuent à perpétuer les topiques d’une vie conjugale : le mariage réussi, la famille-modèle, les petits drames du quotidien, les grandes frustrations, la psychologie de chambre à coucher, le chantage affectif, la solitude dans le couple, la déchirure amoureuse et le grand vide de la séparation…De cette histoire vieille comme le monde, Ingmar Bergman tire une série-culte suédoise dans les années 1970. À son tour, le réalisateur Hagai Levi revisite ce mélodrame petit-bourgeois qui hante encore et toujours l’union sacrée du mariage, toutes classes sociales confondues. Fantôme persistant d’un modèle conjugal archaïque que Mathias Moritz met en scène jusqu’à l’os, arrachant la chair du couple pour sonder la consistance du cœur.
C'est au son du Boléro de Ravel que tout démarre et s'interrompt: ritournelle ou montée en puissance du rythme sempiternel de la vie? Remake d'un tube légendaire qui fait recette et dont on retient la monotonie, le rituel ou l'ennui? C'est sans doute le miroir de ce couple qui se fait et se défait devant nous, chancelant au ralenti sur son banc célébrant les bans de ce qui sera soudure, empathie, rejet, questionnement sur le mode désormais ringard du couple: 12 ans de vie commune pour passer le cap et rester "fidèle". A quoi, pourquoi, pour qui? Deux comédiens pour incarner les affres de ce binôme intriguant et fort bien campé dans ses dérangements par Débora Cherrière et Lucas Parensky. Deux êtres qui souffrent, jubilent ou font l'amour sous l'oeil d'une caméra opérant comme un big brother inquisiteur, violeur d'intimité, reproduisant en direct mouvements et dialogues. Intrusif personnage suspendu aux cintres, ou tenu en déséquilibre sur cet attique, sorte de passerelle emplie d'accessoires divers. Cartons, lampe, et autres objets du quotidien qui ne cessent de basculer, éclater, se dérober et intervenir bruyamment dans les intrigues. Pour en ponctuer le vide ou les éclats. Absurdes objets animés dans un décor suspendu, fragile comme le terrain où exercent nos héros. Les dialogues sont truffés d'incidents, de paroles tendres ou virulentes et chargés d'intentions diverses quant à la fidélité, l'amour, la tendresse, la violence.Le couple ne semble pas être un territoire d'émancipation ni d'éveil, ni d'épanouissement. La critique sociale ainsi brossée est loin d'être élogieuse et ces deux pantins aux prises avec le réel se dépatouillent sans grand espoir de ces circonstances non atténuantes. Socialement correct, propre et net sur soi mais empreint de bien des espoirs ambitieux pour échapper au pire de la routine.Comme une fable toxique sur les rapports humains, la pièce fonctionne sans faille et quelques clins d'oeils humoristiques viennent en redorer le propos: la scène de la vodka neigeuse de pop-corn pour sourire et se réconcilier avec les facéties du quotidien et des querelles.inévitables. Le dispositif scénique comme un couvercle de marmite qui bout, qui défaille et déverse un fatras d'objets encombrants pour la mémoire et les corps pensants. Une histoire palpitante et amère du genre humain façon Bergman pimentée de Mathias Moritz qui signe ici une mise en espace singulière désignant corps et âme en cage sur tous les fronts oscillants de la vie conjugale: avec cris et chuchotements, silence, à travers le miroir de ces communiants de la honte conjugale.Un beau panorama fouillé de l'oeuvre de Bergman: une leçon d'amour sur l'attente des femmes, le lien, les tourments de la vie des marionnettes...
d’après Scènes de la vie conjugale de Ingmar Bergman et de Hagai Levi Adaptation et mise en scène Mathias Moritz Groupe Tongue, Strasbourg
Avec Débora Cherrière, Lucas Partensky
Scénographie Arnaud Verley Création lumière Fanny Perreau Création sonore Nicolas Lutz Régie plateau Arnaud Verley en alternance avec Yann Argenté
Aux TAPS Scala jusqu'au 17 Janvier
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire