mardi 3 décembre 2013

"Obstinés lambeaux d'images": Sitter et Quignard, quels "cochons"!

Qui fait l'ange, fait la bête!
Une funambule sur pointes et un cochon noir bien taquin sont les nouveaux partenaires d'Andréa Sitter. De vrais personnages, qui ne pensent pas à l'avenir mais à l'équilibre. Cette étrange danse s'envoie en l'air au fil des mots de l'écrivain Pascal Quignard. Beaucoup de corps, de voix, de textes aussi dans le travail scénique et chorégraphique de Andrea Sitter. Cette fois, elle fait appel aux textes de Pascal Quignard qu'elle mêle aux siens dont elle signe et revendique la "paternité" d'auteure!
Elle n'est pas seule en scène à nous régaler de sa présence entière et généreuse: c'est un cochon philosophe qui l'accompagne, Max qui se souvient de son passé de sanglier dans les Ardennes. C'est aussi Sarah Schwartz qui donne le "la", comme funambule et dresseuse pour nous emporter, là où "s'envoyer en l'air provoque une électricité nirvanique"!
On verra de plus en plus souvent les animaux participer aux créations chorégraphiques. Pas à cause de leur talent, non. La raison est ailleurs. C’est que nous autres humains sommes un peu désemparés face à nous- mêmes, vu ce que nous sommes en train d’infliger à notre planète. À la recherche du monstre en nous, les artistes en viennent à se confronter à l’animalité, comme après la dernière guerre mondiale, quand la performance naissait dans le sang des volailles égorgés.
Mais aujourd’hui, ils cherchent l’amitié des bêtes, comme pour s’excuser. La grande différence avec les performers qui faisaient jaillir du sang est que le quatuor autour d’Andrea Sitter  ne cherche pas l’hyperréalisme, mais le surréalisme. Aussi, la ballerine partage son champagne avec Max, le cochon. Après quoi, dans un numéro qui est un grand classique et pourtant rarissime, l’élégante meneuse d’une revue improbable se fait déshabiller par Max, une vraie bête de scène. Elle a tout intérêt à se montrer polie, car la propriétaire de Max veille… Elle s’appelle Sarah Schwarz et marche sur le fil tendu au milieu de la scène. De temps à autre ses pas croisent le circuit de Sergio Nguyen, cycliste fantomatique qui hante la scène en guise d’intermède.

A suivre à Pôle Sud les 3 et 4 Décembre à 20H30
www.pole-sud.fr



Pascal Quignard n'est pas indifférent à la danse et signe aussi cet ouvrage de référence au sujet de la pensée sur la danse: "L'origine de la danse" chez Galilée Mars 2013

Avec Angelin Preljocaj" c'était aussi pour "L'Anoure" qu'il se penchait sur ce vaste sujet en 1995,d'après la nouvelle originale intitulée La Voix perdue. Angelin confiait:
« Ces dernières années, la danse a fait sa libération. Elle a voulu exister seule sans le soutien d’une histoire ni même d’une musique. Aujourd’hui, elle en sort fortifiée, et il m’a semblé intéressant de la confronter à nouveau à un livret. (…) Il (Pascal Quignard) ne savait rien de la danse et m’a demandé de lui en parler. Je lui ai expliqué qu’à mes yeux, les danseurs sont des anges qui auraient fait vœu de mutisme. Un danseur ne joue pas. Il n’a rien à voir avec le théâtre. Il entre en scène, se tait mais par ses mouvements exprime quelque chose qui va bien au-delà des mots, quelque chose d’une profondeur extrême. (…) Le résultat dépasse toutes mes espérances. J’ai l’impression d’être devant une forme nouvelle de spectacle où le texte et la danse coexistent à égalité sans que l’une illustre l’autre. »


Extrait de "L'origine de la danse"

"Dans l'eau du ventre ils se dépliaient, ils touchaient, ils exploraient, appuyant le pied sur un point d'élan ils gravitaient, ils tournaient et se retournaient, dans l'ombre, ils dansaient presque. Tout à coup ils dansent vraiment - tout à coup ils surgissent dans la lumière, dans le froid, dans l'air, et là ils tombent. Ils s'effondrent dans la décoordination, dans la non motricité, dans la défaillance musculaire. Ils ne sont plus des foetus, ils sont devenus des enfants envahis de souffle, immergés dans l'air lumineux et l'audition d'une langue parlée dont ils n'ont pas l'usage. Ils ne nagent plus dans l'eau nourrissante de Celle-qui-est-sans-nom-dans-leur-mère-avant-d'être-leur-mère. Une fois tombés sur la terre, l'air a envahi tout leur corps comme une tempête. Alors les quatre fers en l'air, ils agitent les deux jambes, ils lancent en l'air les deux bras, qu'ils meuvent en tous sens, ils ne savent plus comment s'orienter de l'anus à la bouche, ils ouvrent tout grand la bouche, ils poussent un cri. De même qu'il y a une voix perdue lors de la mue des adolescents (quand leur voix, au fond de leur corps, devient autre et, brusquement, s'abaisse) de même il y a une danse perdue (dans le corps tombé, natal, désorienté, souillé, atterré, vagissant) lors de la nativité des enfants."
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